Enquête policière internationale

47 possibles cyberpédophiles arrêtés au pays

Une cinquantaine d’individus soupçonnés d’être des cyberpédophiles partageant du matériel « épouvantable » ont été arrêtés au Canada depuis deux ans dans le cadre d’une enquête internationale, lancée en 2019 par le gouvernement de la Nouvelle-Zélande, dont les pistes ont mené à des prédateurs de partout dans le monde. L’affaire relance le débat sur le rôle des géants du web dans la lutte contre la pédopornographie.

En effet, c’est un fournisseur de services électroniques qui a d’abord alerté les autorités. L’entreprise s’était rendu compte que des dizaines de milliers de délinquants utilisaient ses services pour partager en ligne « certains contenus, tous plus horribles et plus dévastateurs, concernant les agressions sexuelles sur des enfants », a indiqué mercredi le ministère de l’Intérieur de Nouvelle-Zélande par voie de communiqué. En tout, ce sont quelque 90 000 comptes d’utilisateurs qui ont ensuite été identifiés par ses enquêteurs.

Le nom du fournisseur web n’a pas été officiellement dévoilé. Il s’agit d’un service de stockage infonuagique, un hébergeur d’espace sur des clouds, en langage courant.

L’opération policière qui a suivi, baptisée « opération H », a mobilisé des corps de police de partout dans le monde, dont la GRC, la police fédérale australienne, Europol et Interpol. « Il s’agit de l’opération de lutte contre l’exploitation sexuelle d’enfants en ligne la plus importante et la plus difficile menée depuis la Nouvelle-Zélande », selon l’escouade fédérale de répression contre la cyberexploitation d’enfants de ce pays. À l’échelle mondiale, 832 cas ont fait l’objet d’une enquête dans le cadre de ce dossier.

Au Canada, le travail policier s’est soldé, depuis deux ans, par 47 arrestations dans huit provinces, certaines au Québec, indique la GRC. En tout, 186 accusations ont été déposées jusqu’à maintenant. Douze enfants auraient été sauvés grâce aux arrestations, toujours selon la police fédérale. L’enquête est toujours en cours.

Pour le Centre canadien de protection de l’enfance, cette opération démontre toute l’importance du rôle des entreprises web dans la lutte contre l’exploitation des enfants sur l’internet.

« On retient surtout que toute cette opération part du fait qu’un fournisseur de services électroniques a pris la peine d’alerter les autorités. Cette histoire montre à quel point il est important que les [fournisseurs] prennent les moyens de surveiller plus étroitement les activités de leur clientèle », souligne le porte-parole René Morin.

Il y va de ce bémol : « Il est préoccupant de constater les proportions que le problème a pu prendre avant d’être détecté [90 000 comptes dans le cas qui nous concerne]. C’est ici que nos efforts pour amener les pouvoirs publics à réglementer plus rigoureusement l’espace numérique prennent tout leur sens. »

Au Canada, la loi oblige toute entreprise offrant des services internet à déclarer à la police les images d’exploitation sexuelle d’enfants dont elle a connaissance. Mais rien n’oblige l’industrie à faire un travail préventif pour détecter de telles images.

Et la proactivité des entreprises est loin d’être acquise.

En avril 2021, une enquête de La Presse a révélé que des dizaines de milliers d’images pédopornographiques étaient détectées chaque année sur les serveurs informatiques de sociétés d’hébergement au Québec.

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Ces images, 71 000 en trois ans, ont été découvertes non pas par l’industrie, mais par le Centre canadien de protection de l’enfance. Le tout sur des sites web hébergés dans les centres de données québécois d’entreprises telles que iWeb, eStruxture ou OVH. En réponse aux questions de La Presse en 2021, ces entreprises ont essentiellement indiqué que leur rôle se bornait à fournir une plateforme pour créer ou héberger du contenu, pas à vérifier ledit contenu, ajoutant qu’elles n’avaient pas accès aux données. Une affirmation contredite par des experts.

« Les hébergeurs, ils ne veulent pas se mêler de ce que font leurs usagers. Mais d’un point de vue technologique, dans la vaste majorité des cas, ils ont accès au contenu. C’est leur infrastructure », expliquait à l’époque Jean Loup Le Roux, expert en cybersécurité et en vie privée.

« Pour voir ce qui se passe, il faut être proactif », ajoutait le professeur en criminologie Francis Fortin, de l’Université de Montréal, ancien analyste en cybercriminalité à la Sûreté du Québec.


EN SAVOIR PLUS

52 306 , Nombre de signalements, de plaintes et de demandes d’aide concernant des cas de cyberexploitation sexuelle d’enfants reçues en 2020-2021 par la GRC. Une hausse de 510 % par rapport à 2013-2014.
Source: SOURCE : GRC

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